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Larmes et ténacité : une maman étudiante en médecine

Jeune femme d’affaires tapant sur un ordinateur portable et écrivant dans un carnet de notes

Je n’ai sérieusement envisagé d’étudier en médecine qu’après avoir eu mon premier enfant. J’ai découvert par hasard (et à ma grande surprise) que j’avais tous les préalables requis, sauf le MCAT, l’Épreuve d’admission aux écoles de médecine. Lors de ma deuxième grossesse, j’étudiais quelques heures tous les jours pour me préparer à cet examen d’une durée de sept heures. J’avais déjà des diplômes en commerce et en linguistique, mais c’était la première fois que j’apprenais comment fonctionnait le corps humain. Je me disais que même si je n’étais pas acceptée en médecine, ça ferait de moi une meilleure mère.

J’ai fait l’examen alors que j’étais enceinte de neuf mois. En fait, j’ai accouché onze jours plus tard!

Une fois de plus, je passais mes journées à allaiter et à changer des couches. Et ma fille régurgitait tellement que j’avais placé des piqués imperméables partout dans la maison. Chaque fois que je la posais par terre, elle en salissait un et la pile de lavage augmentait. Elle détestait (et déteste toujours) l’heure du dodo et a pleuré tous les soirs pendant des mois. Mon fils, encore un bambin à l’époque, se réveillait en criant. Certaines nuits, j’avais l’impression de faire sans arrêt la navette entre leurs chambres.

Puis j’ai été acceptée en médecine. Ma vie allait changer du tout au tout.

Je me rappelle avoir emmené ma fille au campus principal pour régler certains trucs pour l’admission et avoir été incapable de trouver une table à langer. J’avais pourtant passé des années dans cet établissement pendant ma vingtaine. Aujourd’hui, j’ai honte d’avoir ignoré pendant tout ce temps les obstacles auxquels sont confrontées quotidiennement les mères qui retournent aux études ou au travail. À partir de ce moment, chaque fois que je voyais une personne avec une poussette sur le campus, je me demandais comment elle s’en sortait.

Commencer mes études en médecine fut tout un choc. Après quatre ans à la maison avec les enfants, je n’avais plus de vêtements convenables. Je me sentais mal habillée, vieille et pas du tout à ma place.

Ni l’un ni l’autre de mes parents n’étaient médecins. Je n’avais moi-même aucune expérience en santé et n’avais jamais travaillé dans une clinique ou un hôpital. Dans ma classe, certaines personnes avaient un doctorat ou encore un diplôme en sciences, en neurologie ou en kinésiologie, et d’autres avaient de l’expérience comme infirmières.

Moi, j’avais suivi un cours de biologie pour ceux qui n’étudient pas en sciences… 18 ans plus tôt.

Mais j’avais réussi le MCAT, me disais-je. Je pouvais aussi compter sur le soutien de mon conjoint, de mes parents et de mes beaux-parents, en plus d’avoir les moyens d’envoyer mes enfants à la garderie. Je ne voulais pas renoncer pour les mauvaises raisons, même si ça voulait dire que j’allais devoir y mettre plus de temps et d’efforts que je ne l’avais imaginé.

« Tu feras une bonne infirmière », m’a dit un étranger alors que j’étudiais dans un café.

« Tu es si petite », m’a lancé un patient dans une clinique.

« Tu n’as pas l’air d’une étudiante en médecine. »

« Je parie que tu as été étonnée d’être acceptée en médecine. »

« Tu devrais opter pour une spécialisation qui convient mieux aux mamans. »

« Tu étais mère au foyer? Il faut croire qu’ils acceptent tout le monde en médecine… »

« Qu’est-ce que tu fais ici? Tu as volé la place de quelqu’un. »

« Les mères prennent trop de congés. »

« C’est ta troisième journée, tu devrais déjà savoir ça. »

« Pauvres enfants. »

« Il faut jouer le jeu. »

« C’est toi qui dois payer le café. Je suis externe et tu n’es qu’une étudiante. »

« Votre fille pleure constamment pendant la sieste. Vous devriez peut-être chercher une autre garderie. »

« Votre fils doit voir un médecin. »

« Elle a encore saigné du nez. »

« Il faut déjà acheter d’autres souliers pour les petits. »

« Tu dois aider davantage ton mari. »

« Tout le monde s’occupe de tes enfants, sauf toi. »

« Maman, tu étudies trop. »

« Maman, tu n’aurais pas dû essayer de devenir docteure. »

« Ça ne fera qu’empirer. »

« Ça ira mieux. »

« Ne lâche pas. »

On m’a déjà dit que les étudiants en médecine pleurent tout au long de leur parcours universitaire. Ce n’est pas le cas de tous, mais personnellement, j’ai fondu en larmes dans mon sous-sol, dans ma voiture, aux toilettes, en classe, à l’hôpital et, bien sûr, dans le bureau du psy. Aucun doute, c’est un parcours éreintant et difficile sur le plan émotionnel.

Mais à force de persévérance et grâce au soutien de mon entourage, je suis maintenant externe, à ma dernière année d’études en médecine.J’ai passé des mois en stages cliniques, loin de mes enfants – comme bien des parents qui étudient en médecine, d’ailleurs –, et je continue de travailler aux côtés de médecins et d’infirmières, en pleine pandémie.

Je suis à ma place. Et si vous êtes une maman qui étudie en médecine, vous l’êtes aussi. Ne lâchez pas. Vous êtes capable, et nous avons besoin de vous.

Tous droits réservés © Joan Tu, 2021

À propos de l'auteur

Joan Tu étudie actuellement en médecine à la Cumming School of Medicine de l’Université de Calgary. Détentrice d’un baccalauréat en commerce et d’une maîtrise en linguistique de l’Université de Calgary, elle a travaillé dans les domaines de l’analyse opérationnelle, de l’immobilier et des finances personnelles. Elle est l’autrice de Raising Doctors, un guide qui aide parents et étudiants à mieux comprendre certaines questions entourant l’admission et la formation en médecine.Pour en savoir plus, visitez le www.RaisingDoctors.com.